9.

Printemps 1985

 

Barry Kahn consacra un an et demi à martyriser mes doigts de pianiste. On commença par les textes et les différentes méthodes d’écriture. Celle de Bob Dylan, celle de Joni Mitchell, celle de Rodgers et Harts, celle de Johnny Mercer.

Barry, lui, avait sa théorie : pour ne pas être médiocre, il faut travailler sans relâche.

Il me faisait écrire et réécrire sans cesse en m’obligeant à plonger de plus en plus profond dans mon passé au point que, certains jours, j’avais envie de l’implorer d’être moins dur, de m’accorder un peu de répit. Mais jamais je ne lui ai demandé grâce car, au fond de moi-même, je voulais qu’il me force à aller encore plus loin.

Il se montrait impitoyable et je le lui rendais bien.

— Vous refusez de vous livrer, me disait-il. Vous vous dissimulez derrière des rimes faciles et des textes à l’eau de rose.

Ou bien :

— Vous n’éprouvez rien. Je le sais, parce que moi, je ne perçois aucune émotion. Et si ça me laisse froid, imaginez comment va réagir le public. Il va vous mettre en pièces.

— Quel public ?

— Vous ne voyez pas le public ? Vous ne devinez pas un public, là, auquel vous devez absolument offrir vos chansons ? Si vraiment c’est le cas, sortez d’ici. Ne me faites pas perdre mon temps.

Et je persévérai donc jusqu’à ce que nous soyons enfin tous deux satisfaits. Puis je passai à l’art de la composition.

Barry était toujours aussi strict et inflexible, mais la musique me posait moins de problèmes que les paroles et je me sentais à l’aise. Un jour, il me déclara que j’étais capable de fournir à la demande, comme un robinet. Je crois qu’il était un peu jaloux, mais l’idée de rivaliser avec lui et d’être à sa hauteur ne me déplaisait pas du tout.

Et pour finir, le chant, domaine que Barry maîtrisait à la perfection. Il m’enseigna tout ce qui était phrasé, accentuation, diction. Comment chanter devant un public, comment se servir du micro en studio. Il m’assurait que j’avais une voix très naturelle qui ne ressemblait à aucune autre, mais qu’en la matière tout jugement se révélait extrêmement difficile.

— C’est le public et lui seul qui tranche. Qui aurait imaginé que la voix de Bob Dylan pouvait avoir une telle emprise ? Votre voix, elle, est à la fois nerveuse et pleine de sincérité. Vous êtes capable de changer d’intonation au gré du texte, de paraître émue, distante, blasée, maternelle ou enflammée. J’adore votre voix !

Ah bon ? Enfin un compliment. Je le gravai aussitôt dans ma mémoire, mot pour mot.

Les séances avaient lieu dans un studio tout proche, le Power Station, où, d’ailleurs, je ne répétais pas seulement : j’avais également hérité du poste de larbin et je passais mon temps à aller chercher du café et des sandwiches. Je portais un grand imperméable noir qui traînait presque par terre et que je n’enlevais pas. À longueur de journée, c’était : « Hé, la grande blonde à l’imper, on peut avoir des casse-dalle ? » Et moi : « Oui, pas de problème. Vous voulez quoi ? »

J’avais horreur d’être traitée de cette manière, je me disais que jamais Barry n’aurait osé agir ainsi avec un homme mais selon lui, c’était important ; ça faisait partie du boulot et si ça ne me plaisait pas, je pouvais toujours aller ailleurs.

Il n’y avait pas d’ailleurs, je le savais bien.

Mais il y avait Jennie. Attention, les moulins à paroles n’avaient pas dit leur dernier mot…

Il y avait Lynn Needham, qui était devenue une vraie copine, jouait parfois les baby-sitters et m’invitait à découvrir New York mieux qu’une guide professionnelle. En cas de coup dur, je pouvais toujours compter sur elle.

Il y avait notre vieil appart du West Side, ce lieu de perdition dont l’unique attrait était une baignoire début de siècle installée au beau milieu de la cuisine. Prendre un bain moussant dans la cuisine, ça, c’était royal !

Il y avait des hommes de temps à autre, mais rien de bien sérieux. Je commençais à revivre ce que je ressentais à l’époque de Phillip : j’étais trop grande, trop godiche, un peu coincée. Je ne faisais pas l’affaire pour des raisons stupides.

Trop de soucis et pas assez de poitrine. Mais le problème, en fin de compte, était que j’avais peur de m’impliquer dans une relation durable. Je ne voulais pas avoir à raconter à qui que ce soit ce qui était arrivé avec Phillip, ou plutôt à Phillip.

J’avais ce gigantesque C sur la poitrine, une lettre qui, j’en étais persuadée, ne partirait jamais.

Non, pour moi, il n’y avait pas d’ailleurs.

LA DIABOLIQUEpourepub
titlepage.xhtml
LA DIABOLIQUEpourepub_split_000.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_001.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_002.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_003.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_004.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_005.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_006.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_007.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_008.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_009.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_010.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_011.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_012.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_013.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_014.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_015.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_016.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_017.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_018.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_019.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_020.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_021.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_022.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_023.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_024.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_025.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_026.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_027.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_028.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_029.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_030.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_031.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_032.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_033.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_034.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_035.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_036.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_037.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_038.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_039.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_040.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_041.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_042.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_043.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_044.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_045.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_046.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_047.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_048.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_049.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_050.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_051.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_052.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_053.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_054.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_055.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_056.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_057.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_058.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_059.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_060.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_061.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_062.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_063.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_064.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_065.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_066.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_067.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_068.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_069.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_070.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_071.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_072.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_073.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_074.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_075.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_076.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_077.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_078.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_079.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_080.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_081.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_082.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_083.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_084.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_085.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_086.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_087.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_088.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_089.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_090.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_091.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_092.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_093.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_094.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_095.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_096.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_097.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_098.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_099.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_100.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_101.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_102.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_103.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_104.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_105.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_106.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_107.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_108.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_109.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_110.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_111.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_112.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_113.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_114.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_115.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_116.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_117.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_118.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_119.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_120.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_121.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_122.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_123.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_124.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_125.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_126.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_127.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_128.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_129.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_130.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_131.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_132.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_133.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_134.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_135.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_136.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_137.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_138.htm